[Elevage] Rencontre avec Jocelyne Porcher sur les questions de souffrance au travail dans les productions animales

Compte rendu de l’intervention de Jocelyne Porcher

Mercredi 4 mai à 14h à la mairie de Cailla (11140)
Jocelyne Porcher est une ancienne éleveuse de brebis qui travaille maintenant en tant que sociologue à l’INRAe. Ses travaux portent essentiellement sur les valeurs et l’éthique du métier d’éleveur. Elle analyse les différentes relations qu’un éleveur entretient avec ses animaux. (https://jocelyneporcher.fr/)

Son intervention dans l’Aude a été organisée par le Biocivam de l’Aude en réponse à des questionnements des éleveurs membres du GIEE Locarnivore concernant l’évolution de la consommation de viande et du métier d’éleveur. Ce groupe de 14 paysans s’est constitué en 2020 pour travailler à l’amélioration de leurs pratiques et à une meilleure valorisation de leurs produits en BIO et en LOCAL.

THÉMATIQUES ABORDÉES

La naissance de la zootechnie : de l’élevage aux productions animales.

C’est au 19ème siècle que sont formulées les idées sur la « non-rentabilité de l’élevage ». C’est à ce moment-là que naît la zootechnie, autrement dit : la science de l’exploitation des « machines » animales. À partir de ce constat, Jocelyne Porcher nous invite à bien différencier « l’élevage », pratiqué par des paysans depuis des millénaires, des « productions animales » pratiquées à des fins industrielles.

Selon Jocelyne Porcher, c’est à cette période que s’opère une rupture dans les relations hommes-animaux. Les animaux, considérés auparavant comme des partenaires de travail dans le cadre de l’élevage, sont relégués à l’état de machines productives.

La notion de bien-être animal

La diffusion des antibiotiques après la seconde guerre mondiale, entre autres, a participé au développement de cette industrie lourde de production de viande basée sur la productivité. Par ailleurs, le consensus entre des vétérinaires, des politiciens et des organisations agricoles a encouragé ce développement.
Certains livres parus au 20ème siècle ont suscité des critiques des productions animales par la société civile. C’est le cas d’Animal machine de Ruth Harrison, paru en 1964, qui décrit les conditions de vie des animaux dans les systèmes industriels anglais. Ce livre a eu une telle influence sur l’opinion publique qu’en 1965 une Commission se met en place en Angleterre afin de juger ces systèmes industriels. De cette commission naît le rapport Brambell qui énonce les 5 libertés de base du bien-être animal :
1. Ne pas souffrir de la faim
2. Ne pas souffrir d’inconfort
3. Ne pas souffrir de douleurs, de blessures ou de maladies
4. Pouvoir exprimer les comportements naturels propres à l’espèce
5. Ne pas éprouver de peur ou détresse

Ce rapport est la fondation de la notion de bien-être animale que nous connaissons aujourd’hui. Cependant, s’il participe à l’amélioration des conditions de vie des animaux à la marge, il ne permet pas de remettre en cause les productions animales dans leur dimension industrielle. En effet, cette notion de « bien-être animal » ne prend pas en considération les relations du travail avec les animaux tel que le pâturage, le choix des races, l’alimentation qui se doit d’être de qualité, etc.

Le développement de l’agriculture cellulaire

La FAO publie, en 2006, le rapport Livestock long’s shadow qui présente l’élevage comme une nuisance environnementale, sans faire la distinction entre les différents types d’élevages. Depuis ce rapport, il y a l’apparition d’une critique exponentielle de l’élevage et essentiellement d’une injonction à manger moins de viande.
Le 27 avril 2022, une initiative citoyenne se nommant « The Slaughter Age » (Sortir de l’ère de l’abattage) a été déposée à la Commission Européenne. Les organisateurs de l’initiative (Regroup for werlfare, des associations animalistes) invitent la commission à exclure l’élevage des activités pouvant bénéficier des subventions agricoles et à inclure des alternatives « éthiques et écologiques » telles que l’agriculture cellulaire et les protéines végétales. L’agriculture cellulaire est la production de produits animaux comme de la viande, des œufs, etc. en laboratoire et à partir de cellules. L’idée étant de pouvoir reproduire tous les produits animaux. Derrière ces initiatives qui encouragent la fin de l’élevage se cachent des lobbys de l’agroalimentaire animés par des enjeux économiques très importants.

L’élevage au centre de nombreux enjeux :

L’élevage peut être considéré avec plusieurs dimensions :
• Économique car les éleveurs dégagent un revenu de leur activité,
• Relationnelle de par les liens que les éleveurs entretiennent avec leurs animaux,
Une dimension morale également car les éleveurs souhaitent maximiser le bien-être de leurs animaux. Selon Jocelyne Porcher, l’élevage devient gênant dans la société actuelle car ses dimensions relationnelles et morales ont été occultées pour encourager la productivité et l’individualisme. Pourtant, l’élevage représente un lien étroit avec le territoire et participe à la préservation de la biodiversité. La relation de travail homme-animal de l’élevage dans sa dimension paysanne, caractérisée par un respect mutuel, répond à de nombreux enjeux actuels, qu’ils soient économiques, sociaux ou environnementaux

POUR ALLER PLUS LOIN

• Cause animale, cause du capital (date de publication : 2019, édition : Le Bord de l’eau) est le dernier livre de Jocelyne Porcher dans lequel elle s’attèle à démontrer le lien entre les différentes organisations de lutte pour la cause animale et l’émergence de l’agriculture cellulaire
• Une vie de cochon (date de publication : 2008, édition : La découverte) est un livre dans lequel Jocelyne Porcher raconte l’histoire d’une employée dans la filière industrielle porcine
• Prochainement, elle va sortir un livre qui résulte d’une discussion avec Corinne Pelluchon, une animaliste et abolitionniste française.