01 Mar Ecophyto : Une « pause », dans quel but ?
Le 1er février dernier, le gouvernement annonçait un ensemble de mesures visant à apaiser la colère agricole. Parmi celle-ci, la mise en « pause » du plan Ecophyto. En conséquence, de nombreuses réactions, mitigées et contradictoires, se font entendre, y compris parmi les producteurs Bio. Beaucoup de producteurs/ices, même engagés et convaincus de la nécessité de réduire l’usage des Produits PhytoPharmaceutiques (PPP), se réjouissent en effet de voir le plan Ecophyto remis en question.
De quoi parle-t-on ?
Ecophyto est un plan d’accompagnement touchant, au-delà des agriculteurs/rices, l’intégralité de la filière agricole. Plusieurs versions se sont succédées, chacune d’entre elles visant la réduction de l’usage des produits phytosanitaires en France.
Ce plan stratégique à moyen/long terme, initié en 2008 suite au Grenelle de l’environnement, vise également à permettre le respect d’une directive Européenne encadrant l’utilisation de pesticides (directive 2009/128/CE). Ce n’est donc qu’un outil pour le respect du cadre réglementaire Européen. Cet outil est d’ailleurs un couteau Suisse, puisqu’il se décline en de nombreuses actions. Parmi ces actions, on compte notamment, la mise en place d’un réseau d’expérimentation et de démonstration permettant l’acquisition de références sur des systèmes économes en intrants et PPP : le réseau DEPHY. Les enseignements de Dephy sont par exemple valorisés au sein des « Fermes 30 000 » faisant aussi partie du programme.
Ecophyto est-il un échec ?
Les détracteurs du plan Ecophyto rappellent souvent que celui-ci est un échec. Il est, en effet, de notoriété publique que les objectifs initiaux de réduction de 50% de la consommation des PPP n’ont été atteints ni par le premier plan, ni par ses mises à jour successives. Néanmoins au-delà des chiffres, les résultats du plan Ecophyto sont mal connus et ne se résument pas à des échecs.
Ainsi, si l’on n’a pas atteint la réduction de 50% de la consommation des PPP à l’échelle nationale, Ecophyto a permis de mettre en avant que sur les fermes conventionnelles du Réseau Dephy, entre 2009 et 2019 il fut possible de réduire drastiquement les usages d’intrants dans plusieurs filières. Pour les légumes par exemple, réduction de 30% des IFT (Indice Fréquence Traitement) et 50% de réduction des substances CMR (Cancérogènes, Mutagènes, toxiques pour la Reproduction). Voir FERMES DU RÉSEAU DEPHY : 10 ANS DE RÉSULTATS.
Fin 2023, une commission d’enquête parlementaire, mandatée spécialement pour l’analyse du plan Ecophyto pointait justement les bons résultats du Réseau Dephy. En revanche, cette commission dénonçait également le trop faible engagement du gouvernement et son manque d’aplomb en la matière. C’est là que se trouverait une cause principale de l’échec du plan Ecophyto : voir l’article du Monde 23/03/22 – Réduction de l’usage des pesticides : les raisons d’un échec ou l’abstention de la France lors du vote au conseil Européen sur la réautorisation du Glyphosate pour 10 ans (règlement d’exécution (UE) 2023/2660 du 28 novembre 2023).
Que signifie cette « pause » ?
La « pause » annoncée par Marc FRESNEAU, Ministre de l’Agriculture, consiste donc à retarder l’annonce de la dernière version d’Ecophyto : Ecophyto 2030, afin de renégocier certains points, avec les syndicats agricoles.
Même si cette liste de points à négocier n’est actuellement pas officiellement définie, à Bio 46, il nous semble important de porter l’attention sur des éléments qui, s’ils étaient tout bonnement supprimés ou complètement démunis de leur substance, tendraient à revenir en arrière dans l’encadrement de l’usage des PPP.
- Le rejet en bloc des « Zones Vulnérables Nitrates » (ZVN) : Une zone vulnérable est une partie du territoire où la pollution des eaux par le rejet direct ou indirect de nitrates d’origine agricole et d’autres composés azotés susceptibles de se transformer en nitrates, menace à court terme la qualité des milieux aquatiques et plus particulièrement l’alimentation en eau potable. Supprimer les conditions de protections de ces zones ou les redéfinir pour augmenter la tolérance de l’usage des PPP revient à « réautoriser » la pollution des eaux.
- La suppression des objectifs de réduction 50% affichés jusqu’à présent. Si ces objectifs n’ont pas été atteints à ce jour, ne plus en fixer ne semble pas aller dans le bon sens. Pour rappel, au sein des fermes DEPHY du réseau Ecophyto, ces objectifs ont été atteints dans plusieurs filières.
- La définition d’un nouveau mode de calcul pour remplacer le NODU. Calculé à partir des données de vente des distributeurs de produits phytopharmaceutiques, le NODU correspond à un nombre de traitements « moyens » appliqués annuellement sur l’ensemble des cultures, à l’échelle nationale. C’est lui qui définit si oui ou non les objectifs de réduction sont atteints. Bio 46 se pose la question de l’objectif d’un nouveau mode de calcul. Les chiffres resteront les mêmes, c’est l’analyse qui en sortira, qui sera elle, modifiée. Outre l’orientation de la perception des données obtenues, modifier le système de calcul pose un arrêt dans la possibilité de comparaison des résultats sur le long terme.
- L’impossibilité d’interdire des substances actives tant qu’aucune alternative n’est disponible. Ce dernier point pourrait être particulièrement sensible puisque l’interprétation d’une « alternative » à une substance chimique doit être définie. Si une alternative crédible est une efficacité parfaitement similaire, pourquoi remplacer une substance ? À l’inverse l’Agriculture Biologique ne pourrait-elle pas être considérée comme une alternative aux substances visées ? Rappelons que l’AB montre des performances techniques, sans utilisation de substance active de synthèse, et est une alternative crédible à l’agriculture dite « conventionnelle ». De nombreuses études le rappellent, par exemple Ten Years for Agroecology in Europe (IDDRI) à l’échelle Européenne, ou encore l’étude Afterres2050 de Solagro.
Ecophyto va donc continuer ?
Bien entendu, Ecophyto ne s’arrêtera pas du jour au lendemain. Il restera le plan stratégique d’orientation de réduction des produits phytosanitaires à l’échelle nationale. Mais si l’on se désole du manque de volonté du gouvernement pour la réduction de l’usage des intrants chimiques, il paraît au contraire urgent de s’intéresser au plan Ecophyto pour qu’il évolue et s’étoffe de bonnes résolutions, plutôt que se satisfaire de mesures le vidant de sa substance.
source : Note d’info des Bio du Lot 09/02/2024