Aude : des champs de blé dur bio à l’assiette en passant par les labos de Montpellier, 20 ans de recherche primés – L’Indépendant – juin 2022

Le programme, lancé il y a 20 ans par trois chercheuses de l’Inrae de Montpellier pour répondre aux écueils rencontrés par des céréaliers bios du Lauragais, en s’appuyant sur le Biocivam de l’Aude, a été récompensé du Prix de la recherche participative. Une distinction célébrée le 10 juin à Carcassonne, au lycée Charlemagne.

Plus de trois mois que le Prix de la recherche participative, créé dans le cadre de la loi de programmation de la recherche, a été remis, lors du Salon international de l’agriculture, début mars 2022. Mais parce que la Porte de Versailles était bien loin des terrains où a grandi le programme distingué, ‘‘Des semences à l’assiette’’, c’est au lycée agricole Charlemagne, à Carcassonne, qu’étaient réunis ce vendredi 10 juin plusieurs acteurs (*) de la démarche pour fêter ce prix national.

Destination toute trouvée pour y rassembler les trois chercheuses de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) de Montpellier primées, mais aussi le Biocivam de l’Aude (association des producteurs bio du département).

Également de la partie, Philippe Mauguin, le PDG de l’Inrae, qui avait remis le trophée en mars : « Ce prix récompense une nouvelle façon de déployer la recherche, en allant très en amont discuter avec les personnes concernées. On est à l’opposé de l’image du chercheur dans sa tour d’ivoire. Il s’agit de rapprocher les citoyens de la science et, pour ce qui concerne le programme primé, de profiter du savoir-faire, des connaissances que peuvent apporter un agriculteur, un meunier. »

Un principe d’autant plus louable dans le « contexte » que rappelait Philippe Mauguin, citant pour l’exemple deux questions sensibles, « le Covid, et la sécurité alimentaire ». Si le trio de chercheuses a décroché le prix, c’est parce que cette dimension participative est la base du programme « Des semences à l’assiette », consacré à la diversité des céréales et des filières, en sélectionnant des variétés adaptées à l’agriculture biologique : « Cela fait plus de 20 ans que nous sommes dans cette approche, précisait Dominique Desclaux, chercheuse en génétique et agronomie. C’est cet enchaînement de projets financés que l’on a voulu raconter pour ce prix ».

Une longue histoire commencée pour répondre à une impasse, rencontrée par des producteurs de blé dur en bio, fragilisés par le déclassement de récoltes non conformes au cahier des charges de la filière de transformation. C’est en Camargue, et dans le Lauragais, avec le Biocivam et son directeur de l’époque, Max Haefliger, que les chercheuses de l’Inrae vont plancher : « Ils sont venus nous voir en nous disant qu’il en allait de la pérennité de leurs exploitations, mais aussi de la filière », résume Dominique Desclaux. Qui avec Yuna Chiffoleau (socioéconomie) et Marie-Françoise Samson (biochimiste) va s’attacher à résoudre l’équation, de l’amont à l’aval, en associant agriculteurs, producteurs, coopérative, semouliers ou pastiers, distributeurs, consommateurs : problématiques de qualité, instabilité de l’approvisionnement, travail sur la transformation et réflexion sur la vente directe, avec des filières plus courtes et plus locales, sont autant de pistes de travail.

Un engagement tombé du ciel pour Max Haefliger : « À la fin des années 90, le bio était marginal, on avait du mal à être pris au sérieux. L’Inrae nous a apporté sa caution ». Entre tests et échanges, la démarche aboutira à repérer le LA1823, variété de blé dur co-conçue grâce à un travail collaboratif, et inscrite au catalogue français (qui autorise la commercialisation, Ndlr) : « Cette démarche, elle a aussi contraint le ministère à faire bouger son réseau d’évaluation pour ces inscriptions au catalogue, en se distanciant des normes qui répondaient alors plus à l’agriculture conventionnelle et à l’industrie agroalimentaire », apprécie Dominique Desclaux. Qui rappelle que les « producteurs bios s’intéressaient plus à des questions organoleptiques, de goût ».

Un atout qui compte, évidemment, dans cette démarche globale : « On ne s’arrête pas au champ, ou au labo, reprenait Yuna Chiffoleau. Ça va jusqu’à l’assiette ». Une priorité qui devrait guider la prochaine étape de cette démarche participative, cette fois à l’échelle de l’Europe, avec le programme DivinFood, décliné dans sept pays. Entre blé poulard, petit épeautre et légumineuses (dont l’indispensable haricot lingot pour le cassoulet), les chercheurs vont entamer une quête essentielle : faciliter et accroître la valeur de cultures négligées, pour viser des « régimes alimentaires plus sains » et des « systèmes alimentaires plus durables ». De quoi atteindre la belle ambition résumée par Max Haefliger : « Que les producteurs soient fiers, et les consommateurs contents ».

(*) Les partenaires : Biocivam, chambre des métiers et de l‘artisanat Occitanie, Compagnons du devoir Nîmes, Alpina Savoie, lycée agricole d’Auzeville, Labo des territoires alimentaires méditerranéens.

Le petit épeautre, précieuse variété

La quête de qualité pour le blé dur a aussi présidé aux autres démarches engagées. Comme avec le projet ‘‘Gluten, mythe ou réalité ?’’, en 2015, trois ans après les remontées de clients de paysans-pastiers et de boulangers rapportant la disparition de symptômes d’hypersensibilité au gluten. Ou encore avec ‘’Activa Blé’’, sur les filières de transformation de variétés anciennes de céréales. Une recherche articulée autour du petit épeautre, pour profiter de ses innombrables qualités : « Une bonne adaptation au terroir, la capacité à faire concurrence aux mauvaises herbes, mais aussi à la transformation en pâtes et pain », énumère Yuna Chiffoleau. Sans oublier de penser « à des prix raisonnables » : un objectif tout aussi précieux, et visé via « une filière collective montée dans l’Aude. Un pain avec du petit épeautre, ça peut monter à 15 € le kg. Avec Flor de Peira, on est entre 5 et 10 € ».
Antoine Carrié